Les calanques… ce terme évoque à tous ceux qui l’ont déjà entendu des paysages magnifiques, dans le sud de la France ou ailleurs. Mais que sont véritablement ces calanques ? Quelle est leur genèse, et comment ont-elles traversée l’Histoire ? Pour comprendre les hommes, on dit qu’il faut s’intéresser à leur histoire. De la même manière, se pencher sur celle des calanques permettra aux curieux de comprendre ce paysage et ses symboles.
L’histoire des calanques a commencé il y a plus de deux-cent millions d’années. Les ères géologiques se sont succédées, apportant leur lot de changements pour le paysage provençal.
On peut remonter jusqu’à l’ère Mésozoïque (ou ère secondaire) pour raconter ce que sont les calanques. A cette époque (entre -250 à -65 millions d’années), la Terre était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui : le climat était beaucoup plus chaud, les plantes à fleur n’existaient pas, et les dinosaures peuplaient les territoires. Les continents n’existaient pas tels que nous les connaissons aujourd’hui, mais formaient un tout, une grande plaque de terre entourée d’océans. Après plusieurs millions d’années, sous la pression de phénomènes survenant dans les profondeurs de la terre, cette plaque se fractura. Les morceaux de terre résultants s’éloignèrent peu à peu, emportés par des courants prenant leur origine sous la croute terrestre.
A l’époque du secondaire, les côtes n’étaient pas identifiables, et les calanques étaient encore loin d’apparaitre. C’est pourtant bien à ce moment que leur histoire commence. Les innombrables fossiles incrustés dans ses reliefs en témoignent. Les calanques sont en effet constituées de roches calcaires, résultant de l’accumulation de sédiments au fond de la mer. Et ce calcaire renferme de nombreuses coquilles de mollusques qui peuplaient alors le fond des mers. Il y a 85 millions d’années, un bras de mer de plus de 40m de profondeur entre le massif méridional et le bombement durancien abritait ces petits animaux. Les coquilles, recouvertes de sédiments se sont peu à peu incorporées aux roches calcaires, en devenant ainsi indissociable. On retrouve aujourd’hui jusqu’à 500m d’altitude ces organismes figés, parmi lesquels des rudistes et des ammonites. Si la grande majorité du massif des calanques est constitué de calcaire urgonien, quelques portions du paysage, notamment entre Cortiou et la calanque de Marseilleveyre, sont faites d’autres types de calcaires.
Au cours de l’ère tertiaire (-65 à -1,5 millions d’années), de nombreuses crises tectoniques se sont succédées. Ces bouleversements ont provoqué d’énormes déformations du relief. L’une des plus connues est probablement la naissance des Alpes. Vers -5 millions d’années, l’altitude était très basse en Provence. Mais aux alentours de -1,5 millions d’années, un mouvement des plaques tectoniques provoque un soulèvement du relief de la région de plusieurs centaines de mètres. En parallèle, plusieurs phénomènes de glaciation viennent abaisser le niveau de la mer. C’est ainsi que les calanques ont émergé.
L’érosion, phénomène de transformation du relief qui n’est pas dû à la tectonique des plaques, mais a tout autre agent externe, a également sa part dans la construction des calanques. Elle a accentué les fractures dans le relief, comme l’ont également fait les variations du niveau marin, en creusant la roche. Au Messinien (-7 à -5 millions d’années), la mer méditerranée disparait pratiquement, son niveau s’abaissant de 135m. Il y a quelques dizaines de milliers d’années, le niveau de la mer est encore 150 à 200m en dessous de son niveau actuel. Mais la fonte des calottes glaciaires, qui recouvraient une vaste zone autour du pôle nord, a alors provoqué une élévation du niveau de la mer sur l’ensemble du globe. Périodes de glaciations et de réchauffement se sont ainsi alternées au cours de l’ère quaternaire (-1,5 millions d’années à nos jours), faisant varier le niveau de la mer. Nous vivons aujourd’hui une période chaude, et le niveau de la mer est relativement élevé, noyant de nombreuses grottes et autres cavité. Les réchauffements entrainent non seulement l’élévation du niveau de la mer, mais aussi des pluies torrentielles, qui ont un impact sur l’aspect des côtes. Cette eau froide, acide et corrosive, s’infiltre dans les roches et dissout le calcaire, le creusant en profondeur. Des petits canyons se sont ainsi modelés, formant en profondeur un véritable réseau qui rejoint la mer. Ces phénomènes ont ainsi participé à la formation du relief que nous connaissons aujourd’hui : escarpé, ciselé, et plein de rivières souterraines et grottes partiellement submergées.
L’ère quaternaire, en plus de tous les bouleversements géologiques qu’elle a vu se produire, marque également le début de la relation entre la nature et les hommes.
C’est aux alentours de -1,9 millions d’années que l’homme arrive dans le sud de l’Europe. Ceux-ci étaient jusqu’à présent restés concentrés sur les territoires africains. Lorsqu’ils abordent la Provence, la faune et la flore abondante des lieux a de quoi satisfaire ces « chasseurs-cueilleurs ». Le littoral, au climat tempéré par la mer, constitue un environnement favorable, même au coeur de l’hiver. D’importants changements surviennent dans la biodiversité des calanques au cours de cette ère géologique. L’alternance de périodes de glaciation et de réchauffement déjà évoquée provoque en effet la mutation ou l’extinction, au moins localement, de certaines espèces animales et végétales. Le froid et la sècheresse des périodes glaciaires provoquent la disparition de la forêt, au profit d’une végétation plus proche d’une steppe. La faune change en conséquence : s’installent les espèces animales pour qui cet environnement est favorable. A l’inverse, la chaleur et l’humidité des périodes chaudes sont propices au développement de la forêt et d’une autre diversité animale. Dans les deux cas, le littoral méditerrané reste un espace privilégié de chasse et de cueillette pour les hommes préhistoriques.
C’est à ce moment de l’histoire que l’activité humaine commence à laisser ses traces sur les calanques de Marseille. Les cavités creusées dans la roche servent d’abris à ces hominidés, tant qu’elles ne sont pas submergées. On y retrouvera bien plus tard des témoignages de leur passage. Au paléolithique moyen (-300 000 à -35 000 ans) apparait la civilisation des Homo sapiens (ou « hommes savants »), reconnus comme inventeurs des outils. Ils sont également les premiers artistes, qui peignent sur la roche les premières représentations figuratives, majoritairement des reproductions animales. Cet art pariétal se distingue également par des sculptures rupestres. Dans les calanques, on retrouve aussi l’expression de leur existence sur les murs des grottes qui les abritaient. Dans la grotte de Cosquer, découverte en 1991, plus d'une cinquantaine de dessins de mains ornent encore aujourd’hui la surface calcaire. Certaines ont été dessinées en plein, c’est-à-dire que les mains étaient enduites de colorant et appliquées sur la roche. D’autres, dites « négatives » ne sont que des contours, le colorant étant probablement soufflé par le biais de tubes. Sur la partie est de la grotte, l’ensemble de ces impressions jalonne un chemin qui mène à un grand puits, d’une profondeur de 24m. Un peu plus loin, des mains aux phalanges manquantes constituent encore un mystère pour les historiens, qui hésitent sur la signification à leur donner.
Au côté de ces mains, datées de -27 000 ans, on retrouve aussi des peintures et gravures d’animaux. Celles-ci, plus récentes, attestent de la visite d’autres hommes, aux alentours de -18 000 ans. Ce moment constitue par ailleurs sa période d’occupation principale, mais aussi la dernière à laquelle elle a été habitée. Ses habitants sont les solutréens, ou épi gravettiens. Les peintures ont été réalisées au charbon de bois, ce qui a permis de les dater avec faciliter, grâce à la technique du carbone 14. Ce principalement des chevaux et des bouquetins qui ont été représentés, mais aussi des bisons. L’une des choses qui rend cette grotte si particulière est la présence de représentations d’animaux marins, parmi lesquels des pingouins. On y trouve aussi une représentation unique, qui semble figurer un être hybride mi-homme mi- phoque. Il ne faut en effet pas occulter le fait que le lieu était proche de la mer. Cette crique est aujourd’hui immergée, à 37m de profondeur, et n’est accessible qu’en plongée (fermée au public). La mer a effacé une partie de ces oeuvres préhistoriques, mais certaines sont encore remarquablement conservées. L’existence de la grotte Cosquer a été signalée dans le courant de l’été 1991, par Henri Cosquer. Entre juin et octobre 1992, des opérations scientifiques y ont été conduites, réitérées en 1994. Des études sont parvenues à la conclusion que ce lieu ne servait pas d’habitat aux Homo Sapiens, mais de lieu de culte. Très peu de silex ont en effet été retrouvé sur ce site. Il s’agissait plus vraisemblablement d’un lieu de culte. On retrouve dans le même secteur d’autres grottes sous-marines, à l’époque émergées et probablement habitées, telles que la grotte de la Triperie ou la grotte du Figuier
Il convient de comprendre le contexte dans lequel vivaient ces hommes. Ces années, au coeur de l’ère glaciaire, sont marquées par des périodes de grand froid, auxquelles les êtres humains doivent s’adapter. Une calotte de glace s’étendait sur l’Europe du nord, qui pouvait atteindre jusqu’à 3 000m d’épaisseur. La manche était complètement gelée, et il était possible de la traverser à pied. Les vestiges d’animaux retrouvés régulièrement dans ce bras de mer, tel que des défenses de mammouths ou des d’éléphants, attestent du passage de ces troupeaux. Le niveau de la mer Méditerranée était assez bas pour que tout le plateau continental situé devant la grotte Cosquer soit à sec. La mer n’atteignait pas les côtes actuelles, mais s’arrêtait à plus de 13 km du vieux Port. Les hommes de Cro-Magnon avaient donc de grandes étendues de terre à occuper, et de vastes terrains pour voir défiler les animaux. Ils s’installèrent donc au pied des falaises pour se protéger du mistral froid venant du nord-ouest. Un choix stratégique, puisque cet emplacement leur permettait également de se protéger des fauves et de profiter de la présence d’eau douce, apportée par les rivières souterraines nichées au coeur des calanques. Par ailleurs, il semblerait selon des études du terrain qu’un lac se trouvait situé entre les îles du Frioul et la côte, certainement très peuplé. La mer était pour ces chasseurs et pêcheurs une source abondante de nourriture : poissons, pingouins, phoques… On a cependant retrouvé en ces lieux moins de témoignage spectaculaire de leur passage.
Les hommes installés dans la région fondèrent la ville de Marseille au Vème siècle avant J.-C.. Au début du siècle suivant débute le défilé des bateaux grecs dans les Calanques.
La fondation de Marseille fait l’objet d’une légende, celle de Gyptis et Protis. Selon le récit, le roi Nann des ségobriges, offrit la main de sa fille Gyptis au marin grec Protis au cours d’un banquet. Il lui offrit dans le même temps un territoire, destiné à accueillis le comptoir grec de Massilia. La création et le développement de cette ville, appelée consécutivement Massalia, Massilia, puis Marsiho et aujourd’hui Marseille, a eu un grand impact sur les calanques et leur histoire. C’est dès la création de la ville que fut introduit l’olivier et que furent implantés les premiers vignobles. Jusqu’à cette période, la vigne poussait uniquement de manière sauvage, mais les habitants de la région en tiraient déjà une très bonne boisson.
Cette influence gréco-romaine fut accentuée par l’activité marchande dans le port nouvellement construit, et le va-et-vient des bateaux grecs et marseillais. Mais ces transits de richesses eurent une autre conséquence que celle du développement de la cité : l’apparition dans ses eaux de la piraterie. De nombreux bateaux luttant contre le mistral pour atteindre le port de Massilia furent ainsi aisément attaqués par les pirates ligures. Les pirates étaient si persistants que Rome dû intervenir pour endiguer le phénomène (et en profita peu de temps plus tard pour prendre le contrôle de la région). Cette activité de piraterie, bien qu’elle fût un grand tourment pour les commerçants de l’époque, est une aubaine pour les historiens, puisqu’elle a très certainement contribuée à nous léguer quelques-unes des épaves retrouvées en mer.
Ces navires de transports retrouvés dans les fonds sous-marins sont des témoins précieux des échanges commerciaux qui s’effectuaient entre Marseille et des villes d’Espagne, du Maghreb, d’Afrique ou encore d’Italie. Le chenal situé entre l’archipel du Riou et la côte des Calanques, soumis à de forts vents contraires, fut le lieu de nombreux naufrages. C’est dans cette zone que l’on a retrouvé la majeure partie des épaves. Sur les soixante-dix que compte l’archipel du Riou, cinquante ont été retrouvés dans ce chenal, dont trente datant de l’antiquité. La première fouille archéologique a par ailleurs été conduite dans ce chenal par le commandant Cousteau, entre 1952 et 1957. C’est au niveau du Grand Conglué, à 40m de profondeur, qu’a ainsi été retrouvé un trouvé un navire contenant un très grand nombre d’amphores. Ce sont des amphores massaliettes, mais aussi des amphores étrusques qui jonchent les sols sous-marins de la méditerranée. Celles-ci ne servaient pas uniquement à transporter du vin. On y mettait aussi des poissons, comme en témoignent les ossements retrouvés mêlés aux débris d’amphores, sur l’île de Riou. C’est là-bas, et plus précisément dans l’anse de Monestério, qu’ont été découverte une pêcherie et une conserverie de poisson datant du premier siècle avant notre ère.
Parmi les autres découvertes datant de cette époque, on peut citer des poteries sigillées retrouvées à Morgiou, des dolais (jarres de 2m de diamètre) de Callelongue, de nombreux fragments gisant à Carpiagne, ou encore ce qu’il subsiste d’une villa. Tous ces éléments sont de précieux indices sur le mode de vie et les habitudes des habitants de la région à cette époque, fortement influencés par la culture gréco-romaine. Cette inspiration se fait ressentir jusque dans le langage, encore à l’heure actuelle. Un pharo, en provençal, désigne un phare. Ce mot est directement issu de son homologue grec, le pharos. On peut par ailleurs encore voir l’une de ces tours de vigie se dresser sur l’île de Riou. Elle servait à la surveillance des alentours. C’est grâce à un système de feu de bois et de signaux que les vigiles parvenaient à communiquer avec la côte, en cas de besoin.
La proximité avec la mer faisait de la ville de Marseille un lieu de commerce très intense, mais justifie aussi l’existence d’une importante activité de pêche. Les eaux regorgeaient de poissons, mais ce ne sont pas les seuls trésors que les marins remontaient du fond des mers. Des cabestans de pêche au corail, extirpés des récifs des Moyades à Maïre, nous fournissent une histoire de plus sur l’attrait des Calanques à cette époque. Le corail que l’on trouvait dans la région était en effet très apprécié. Pline l’Ancien, éminent auteur romain ayant vécu entre les années 23 et 79, aurait lui aussi vanté les mérites de ce joyaux marin. Il en parlait comme de « ce corail si loué près des îles Stéchades ». A cette époque, toutes ces îles, ainsi que les îles d’Hyères, portaient le nom de Stéchades.
En plus des nombreux marins, pêcheurs et corailleurs, côtoyant les agriculteurs et artisans des terres, les environs comptaient de multiples tailleurs de pierre. Le calcaire des calanques était lui aussi déjà source de fierté. Ce calcaire, impur à 2%, constitue un marbre à la fois somptueux et très résistant. Sa couleur est homogène, d’un blanc éclatant. Dès l’Antiquité, des carrières sont établies sur la pointe Cacau à Cassis, sur la rive-est de la calanque de Port Miou. Cette roche fut très utilisée dans la construction de Massilia, notamment de ses routes pavées, ses quais et ses villas. Les fameuses plages de « roches plates », vestiges des exploitations, et les barges d’embarcation encore présentes sur les lieux attestent également de l’existence d’une importante activité marchande liée à ce calcaire. L’emplacement des carrières permettait de facilement embarquer les blocs de pierre sur les navires. L’utilisation n’en était en effet pas seulement locale, mais aussi internationale. Les phares de Cassis ou de Planier, érigés à la porte de la rade de Marseille, ont été fabriqués avec ce matériau, tout comme les quais d’Alexandrie et d’Alger ou, plus tard, le statut du socle de la liberté.
Le 4 septembre 476, Romulus Augustule, dernier empereur de l'Empire romain d'Occident, marque la fin de la domination romaine en abdiquant. Le VIème et le VIIème siècle furent alors marqués par l’invasion barbare. Wisigoths, Ostrogoths, Francs et Maures firent consécutivement leur apparition dans la région, suivi par les Sarazins et les Vikings qui prirent leur place jusqu’au Xème siècle. Ces décennies furent marqués par de nombreuses guerres et épidémies de peste. Au Xème siècle, le royaume de Bourgogne-Provence fait cesser la domination de Marseille, la confiant au comte de Provence, représentant l'Empire romain germanique.
Il y a peu à relever sur l’Histoire des Calanques jusqu’au XVIème siècle. De cette époque, on a pu récupérer de plus nombreuses archives, notamment des chartes sur le fermage des îles, et notamment l’île de Riou. Des troupeaux y étaient alors envoyés pour paître pendant une certaine période. Cette pratique, étalée sur plusieurs siècles, a entrainé une perte conséquente de la végétation sur l’île. Une autre des spécificités de Riou est le dressage des faucons pèlerins. Ces oiseaux-chasseurs, protégés aujourd’hui, suscitaient déjà à l’époque l’admiration. Ils étaient capturés puis élevés par les insulaires, pour être revendus à un prix très élevé. La ville de Marseille offrait souvent ces oiseaux à ceux qu’elle jugeait être d’importants personnages. A titre d’exemple, il a ainsi été fait don de trois faucons au gouverneur de la Province le 10 juin 1657. Il est inscrit dans les archives communales qu’Hervé Bérard les aurait vendu à la ville pour 40 livres chacun.
Les calanques étaient à cette époque très réputé pour la pêche au thon que l’on y pratiquait. De grands filets – des madragues – étaient à cette fin utilisés dans le chenal entre la côte et l’archipel du Riou, jusqu’au XIXème siècle. Le port de Morgiou accueillait ainsi souvent des hauts dignitaires, tels que Louis XIII, venus se livrer à un sport particulier. Il s’agissait de harponner les thons emprisonnés dans les filets, à l’aide d’un trident de vermeil. A l’occasion d’un passage du Roi en 1622, des marches ont été taillées dans la roches pour faciliter l’accès au port et rendre plus aisé le débarquement de la cour. Cet ouvrage est l’un des vestiges encore visibles de cette époque.
L’activité économique reste au cours des siècles assez similaire à ce qu’elle était dans l’antiquité. La pêche reste très pratiquée dans ces eaux. La culture du raisin et la fabrication du vin sont aussi toujours des essentiels dans la région. Au XVIIème, la ville de Cassis prospère grâce à son commerce, envoyant ces produits à l’étranger depuis les rives de Port-Miou, puis au départ du port de Cassis après que celui-ci fût créé. Le commerce de la pierre, du bois et de l’huile restent également très importants.
Au XVIIIème siècle, un funeste évènement marque gravement l’Histoire des calanques. C’est dans ces eaux que s’est échoué le navire Grand Saint Antoine, ramenant sur les rives provençales un bien lourd fardeau. A bord du bateau, en retour d’un voyage commercial en Syrie, se trouvait une cargaison d’une valeur de 100 000 écus. Les magnifiques étoffes qui en faisaient partie portaient en elle une tragédie : la bactérie de la peste. Alors que l’équipage est en mer, plusieurs de ses membres succombent à la maladie. Ce sont 8 matelots et le chirurgien de bord qui ne verront plus jamais les côtes. Le capitaine Jean-Baptiste Chateaud amarre tout de même son voilier au Brusc, et fait son possible pour éviter une quarantaine, pour une maladie alors jugée comme « une histoire du passé ». Le certificat délivré par la ville de Livourne, attestant que tout allait bien à bord de ce bateau dont elle ne voulait pas s’encombrer, suffit aux autorités marseillaises. Le navire s’amarra donc à Marseille, le 25 mai 1720. Ce n’est deux mois plus tard que le Philipe d’Orléans ordonna de faire bruler l’embarcation et sa cargaison, et il fallut encore attendre jusqu’au 25 septembre pour que cet ordre soit exécuté. La peste eut bien évidemment le temps de se répandre dans la ville et plus loin en Provence. L’épidémie, qui toucha environ un sixième de la population, persista jusqu’en janvier 1723. C’est en 1978 que l’épave calcinée du Grand Saint Antoine fût retrouvée, près de l’île du Jarron.
Dans les fonds marins se trouvent aussi des vestiges datant du XVIIIème siècle. Il s’agit essentiellement de canons, de boulets et de carcasses de chevaux. Sur les îles et sur la côte, plusieurs fortins et batteries, apparemment utilisés à cette époque, sont encore visibles. L’un de ces édifices est érigé sur le cap Morgiou, où l’on retrouve aussi, encastré dans les rochers, un boulet de canon marqué d’une ancre. Certains étaient déjà construits depuis le XVIème siècle, d’autres l’ont été après l’édiction par Napoléon Bonaparte d’un décret le 17 novembre 1810 afin de lutter contre la flotte anglaise. Les anglais étaient en effet très actifs dans la région et ont entre autre mit à sac la ville de Cassis. Diverses explications contradictoires sont données sur la construction de ces fortins, mais elles sont toutes le reflet des tensions entre l’armée de Bonaparte et la flotte anglaise. Tous les éléments indiquent que les calanques ont été à cette époque le lieu de nombreuses batailles. Tous les édifices militaires des calanques ne datent cependant pas de cette époque. Bien plus tard, au XIXème siècle, de nombreux autres fortins furent bâtis. Parmi la foule de constructions normalisées, commandées par le ministère de la guerre, on peut relever le très beau fortin de Cassis, érigé dans les années 1880. La plupart de ces batteries ont été récupérées par les allemands en 1943, qui ont également érigé le « Züd Wall » (mur du Sud). On peut encore aujourd’hui voir des fragments de cette fortification.
Jusqu’au deuxième tiers du XVIIème siècle, les Calanques étaient essentiellement agropastorales. En bord de mer et à l’intérieur des terres se poursuivent les activités agricoles. D’importantes parcelles de terres y sont consacrées, autour de fermes qui existent encore. On connait notamment le très vaste domaine de Luminy. Ce sont là plus de 200 hectares de terre qui sont consacrés à la culture de diverses céréales, mais aussi à la vigne et à l’élevage. On peut aussi citer la ferme du Logisson, celle du Mussuguet ou celle de la Gardiole, des domaines très importants, dont les fondations remontent probablement à l’Antiquité. Parmi les espèces les plus cultivées, on trouve les très typiques arbres méditerranéens : l’olivier, le figuier, et l’amandier. Cultures de pois chiches et de lentilles étaient également très répandues, du fait de leur très faible besoin en eau. L’arrivée du canal de Marseille rend le sol plus fertile et propice à d’autres cultures.
D’anciennes bergeries se tiennent encore dans les calanques, au col de Sugiton ou de la grotte Rolland. On en connait d’autres qui ont été détruites. Les moutons étaient nombreux sur les côtes, source de revenu pour une foule d’éleveurs. Les troupeaux instaurèrent cependant des troubles dans le paysage des calanques. Une grande partie du patrimoine forestier a en effet subit les conséquences du pâturage des chèvres, animaux voraces qui arrachent l’herbe et grimpe sur les arbres pour atteindre les pousses appétissantes. Cet animal est ainsi partiellement responsable de la désertification de grandes étendues du territoire méditerranéen.
La pêche était aussi une activité phare du littoral, comme elle l’a été depuis le premier siècle. Il y a plusieurs ports dans les calanques, de Montredon jusqu'à Port Miou, animé par de nombreux marins pêcheurs. Un recensement effectué en 1807 indique pour Mazargues, 72 agriculteurs et 75 marins. La ville de Cassis comptait encore 170 pêcheurs il y a à peine 60 ans. A début du XXème siècle, le développement du chalutage à vapeur a progressivement mené au déclin de la pêche traditionnelle à Marseille et dans toutes les calanques.
La cueillette et le façonnage du corail en Méditerranée remonte à l’Antiquité, mais cette activité connu un succès qui ne décrut pas jusqu’au XVIIème siècle. A l’apogée de cette activité, la ville de Cassis compotait 250 ouvriers travaillant le corail. Mais après avoir été une activité prospère pendant des siècles, la raréfaction de la ressource entraina son déclin, puis sa quasi-disparition au XIXème. Ce constat donne d’autant plus de pertinence à la protection.
Au cours du XIXème siècle, en plus de voir les ressources marines décroitre, on observe un recul progressif du pâturage. Les riverains passent alors aux activités artisanales et industrielles. Déjà dans les années 1760, les choses commencent à changer. De nouvelles industries voient le jour, dans des secteurs déjà bien connus. L’activité portuaire se développe ainsi avec l’instauration de sécheries de morue. L’artisanat prend un nouvel essor avec les débuts de la fabrication de scourtins (paillassons circulaire en fibre d’alfa, de 40cm de diamètre, servant initialement au filtrage de l’huile et du vin), ou le travail du corail. Le travail de la pierre, de la chaux et du ciment gagne aussi en importance. Une attention toute particulière est apportée à la viticulture. Des fours à charbon servant à la distillation apparaissent, notamment dans le vallon des charbonniers. Des fours à chaux sont quant à eux recensés autour de Vaufrèges, La Panouse, Madrague de Montredon ou Saména. Certains de ces sites sont aujourd’hui considérés comme des monuments historiques importants.
Des usines sidérurgiques ouvrent leurs portes dans la région. Aux alentours de 1810, alors que la chimie a fait d’énormes progrès, des soudières aux cheminées verticales s’installent. On en retrouve à Callelongue ou dans la calanque de Saména. La forme de ces édifices n’est pas liée au hasard, ou à une préoccupation esthétique, mais a été bien réfléchie. Le procédé chimique se déroulant à l’intérieur de ces bâtiments conduisait à des rencontres dangereuses entre certains éléments organiques, et du gaz carbonique s’échappait lors de ces réactions. C’est pourquoi a été imaginé l’aspect si particulier de ces soudières, avec leurs cheminées « rampantes », hautes de plusieurs mètres, afin que les rejets toxiques soient évacués.
Entre 1820 et 1830, c’est l’industrie du plomb qui fait son entrée. Suite à l’invention des tuyaux sans soudures, ce sont plusieurs usines qui voient le jour. Au Rouet, la famille Figuérois travaille le plomb et l’argent. Cette usine sera par la suite déménagée aux Goudes pour ne plus produire que du plomb. D’autres usines se créent, à l’Escalette et à Madrague de Montredon. On retrouve aussi une usine à Cassis, qui s’est elle consacrée au travail du fer entre 1850 et 1870.
Dans les années 1850, ce sont surtout les scieries qui s’implantent, entre Montredon, le Redon et Valmante. Aux Goudes, c’est une raffinerie de souffre qui s’érige. Dans les années 1880, une cité ouvrière se développe à Montredon, autour de l’usine de verrerie Verminck, puis de l’usine Mante. A Septème s’installe la première usine de traitement de la résine de pin. Plus appréciée par les habitants, c’est une chocolaterie qui s’installe bientôt à Montredon. En plus de ces multiples sites industriels, les calanques comptent à cette époque plusieurs carrières et sablières, comme celle de Solvay, dans la calanque de Port Miou. On y extrait des sables, des graviers et des pierres. Ce n’est toutefois pas sans remous que les riverains ont accueilli son installation en 1913. C’est en effet aussi l’époque des balbutiements des sociétés de protection de la nature, qui commence à être vue comme précieuse et fragile. En 1906, une manifestation eut lieu contre le projet de création de la carrière de Solvay. Mais tout ceci ne suffit pas à empêcher son exploitation, jusqu’en 1981.
L’industrialisation de la zone s’est effectuée selon un schéma précis. A Marseille, ce n’est pas au nord de la ville que les premières industries ont été installées, mais bien au sud, de Montredon à Callelongue. Les zones littorales étaient privilégiées pour l’aménagement des usines, puisqu’elles permettaient un transport plus aisé par les voies maritimes. Nombre d’entre elles se sont aussi installées sur l’axe routier, vers Vaufrèges ou Luminy. Le coeur des calanques a ainsi été épargné par cette industrialisation, et ceci a largement contribué à son état de préservation actuel.
Les calanques ont donc été modelées au cours des âges. Leur formation géologique leur donne leur aspect particulier, véritable palette d’azur et de blanc. Si ce paysage semble immortel, il ne faut toutefois pas négliger l’impact que peut avoir l’action de l’homme sur un site naturel. Les épaves racontent des tragédies lointaines. Les carrières, les vignes, ou encore les pêcheries s’insèrent encore aujourd’hui dans le paysage comme autant de témoignages des vies passées en ces lieux. La gourmette de Saint Exupéry est peut être l’indice d’une autre histoire à raconter sur ces lieux. Et les représentations des calanques ne manquent pas, pour immortaliser à tout âge leur image et ce qu’elles portent en elle de références historiques et culturelles. Ecrivains et peintres se sont succédé dans ces lieux : Othon Friez, Guigou Monticelli, Ziem, Pégurier, George Braque…
Mais les activités industrielles de ces derniers siècles, si elles ont permis un essor économique, ont aussi entaché ce joyau naturel. Sa pollution ne vient pas que des activités industrielles existantes, mais aussi des carrières laissées à l’abandon, souvent transformées en décharges sauvages. L’attrait des calanques pourrait par ailleurs être leur principal ennemi : les nombreux randonneurs venus admirer les lieux rendent le massif sujet à de possibles incendies qui pourraient détruire une végétation résistant fièrement à l’urbanisation. Quel est donc l’avenir de ce superbe écrin de nature, en marge d’une des plus grandes métropoles du pays ? Si la visite du parc national des Calanques de Marseille s’enrichit chaque jour d’Histoire, espérons que cela ne soit pas au détriment de son exceptionnel patrimoine naturel.
Les calanques ont encore de nombreuses années devant elles pour enrichir leur histoire !